Article Inspiré du thème la synchronicité, à propos de la sensibilité médiumnique dans le cadre d’un traitement de Rolfing.
Le corps inexplicable
Dès que je commence à travailler les hanches de ma cliente, la chanson thème de l’émission de télévision anglaise, « The Friendly Giant », que j’écoutais sans la comprendre lorsque j’étais toute petite, fascinée par les meubles miniatures que le Géant déplaçait tendrement en racontant ses histoires; la jolie berceuse tourne et tourne dans ma tête. Et insiste. Ce genre d’occurrences simultanées, même si elle peuvent paraître anodines, sont un précieux
Bien que l’intégration structurelle par le Rolfing soit une forme de thérapie corporelle ayant pour but l’équilibre et l’alignement postural et l’optimisation des mouvements, je reste toujours attentive à ce qui survient en périphérie des sessions. L’expérience m’a appris que c’est bien souvent là que sont réfugiés de puissants déclencheurs, les éléments sur lesquels s’appuient les transformations les plus profondes, bannis de la conscience par la raison mais restés bien vivants dans le corps et dans le subconscient de mes clients.
Dans le cas présent il s’agit d’une musique surgie de « nulle part » pendant que je travaille. Il arrive aussi que ce soit le client qui ait ce genre d’expérience synchronique : un rêve, une image, une parole, une lecture, une rencontre, quelque chose qui entre en résonance avec le processus de Rolfing et lui confère une nouvelle dimension.
Car le corps est mystérieux. Fait de matière, il incarne totalement et complètement l’âme. Le relâchement et l’harmonisation de l’un sert l’expansion de l’autre. Lorsque le corps cherche à s’ouvrir, des forces inexplicables se manifestent pour supporter à leur manière ce mouvement d’intégration et de guérison. Cette relation directe est indiscutable. Elle existe, tout simplement.
Je laisse mes mains faire leur travail de manipulation autour des hanches de ma cliente. J’en contiens les tissus, les étire doucement à l’aide de pressions soigneusement appliquées, précisément calibrées et orientées. J’invite les articulations à explorer plus d’ouverture, les muscles qui les entourent à se détendre afin de permettre à tout le corps de mieux répondre aux exigences de la posture verticale, de se mobiliser de manière plus fluide et plus efficace.
Surtout, je laisse la comptine du Géant porter mon travail comme si je la chantonnais au creux des chairs que je touche, pour les bercer, les apaiser. Et je sens les fascias, ou tissus conjonctifs, se détendre progressivement, devenir plus vibrants en réponse à l’attention qu’ils reçoivent. Comme s’ils laissaient aller un soupir de soulagement et se déposaient plus pleinement dans mes mains.
Vers la fin de la session je demande à ma cliente de se lever et de faire quelques pas en étant attentive à ses sensations, quelles qu’elles soient. Un fin sourire éclaire son visage lorsqu’elle commence à marcher et constate avec surprise qu’elle sent ses jambes, qui ont aussi été travaillées, à la fois plus solides et plus légères, et surtout que ses hanches sont plus spacieuses, comme si on les avait « huilées ». De mon côté j’observe que chacun de ses pas offre un meilleur appui à l’ensemble de sa structure, que sa démarche est plus ronde, plus souple et mieux enracinée. Merveilleux!
Lorsqu’elle s’est rhabillée (les clients sont vêtus de leurs sous-vêtements pendant les traitements) nous échangeons quelques impressions sur le travail qui vient d’avoir lieu. Je lui raconte comment la chanson du Gentil Géant a imprégné la dernière partie de la session et lui demande si cela est signifiant pour elle. Et voici qu’elle fond en larmes alors qu’affluent de tristes souvenirs d’enfance, remontant à l’âge qu’elle avait lorsqu’elle écoutait cette émission pour y puiser du réconfort, pour survivre psychiquement. Elle fait le lien entre cette profonde blessure existentielle et les restrictions qui affectent présentement son corps, et il devient évident que ce thème sera le cœur symbolique du travail structurel que nous accomplirons au fil de ses sessions de Rolfing.
Quelle riche synchronicité !
Cet article a été publié dans le magazine Le Tour : vol 31, no 3, p.37
et aussi dans le webzine Covivia : vol 10, no 12